2 - Le premier jour

Les Allumés de la Paix
Chronique ruralo-décalée d’un certain bonheur



Rolland se réveille dans le lit inconfortable de Germaine.
C'est un de ces vieux lits trop haut, dont la boiserie vétuste respire l'encaustique. Les bourrelets du matelas de laine lui meurtrissent les côtes, et les draps de lin sont tellement rugueux qu’au petit matin il se sent rasé de frais.

La chambre sent l’amour, l'église, et la lavande qui se dessèche dans l'armoire. Rolland imagine les piles de draps bien alignés, entre lesquels alternent les sachets d'herbes et d'antimite, les papiers de famille, le livret de caisse d'épargne et les images pieuses.

Derrière les doubles portes du meuble bancal, c'est tout un passé sans avenir qui sommeille.
Lettres enrubannées et jamais relues, cartes d'anniversaire expédiées par un lointain neveu en mal d'argent, certificats de garanties périmés et coupures de presse, voisinent avec les Saintes et les prières, en souvenir de quelques vœux jamais exaucés. Les draps encore neufs, héritage de famille, attendent en jaunissant une improbable descendance convertie à la couette, qui ne saura qu'en faire.
Les aïeules de Germaine ont fait provision de linceuls.

Prés de la fenêtre étroite, une antique coiffeuse au marbre fendu est transformée en hôtel des ancêtres.  On y trouve pêle-mêle les photographies retouchées d'un couple sévère et guindé, d'un jeune homme en tenue de militaire de musée et l'image de Sainte Rita, patronne des femmes stériles.
Trois crucifix de tailles et de styles différents, semblent reproduire la mort du Christ, sous les yeux de Marie, enfermée pour l'éternité dans sa petite boule d'eau, les pieds dans la neige.
Sur le socle du jouet une inscription assure : à Lourdes, nous avons prié pour vous - Made in Taiwan.

L'inévitable canevas est accroché de guingois à la gauche du lit. C'est un paysage convenu de campagne à l'automne, ou prés d'un ruisseau, trois jeunes filles partagent leur gouter à l'ombre des arbres.
Les couleurs sont incertaines, et les points irréguliers donnent à l'œuvre une perspective de peintre ivre qui invite au vomissement.
En bas et à gauche, ont a fini le tableau en utilisant les restes de coton et depuis des années, un ruisseau déverse au bord du cadre poussiéreux, une eau rouge et noire d'un effet inquiétant.

La porte du modeste deux pieces ferme mal, et Rolland entend sa compagne d'une nuit s'affairer dans sa cuisine. Coincé au creux profond du lit, il s'étire et revit sa nuit.
Pour un homme d'expérience, Germaine n’est pas vraiment une affaire. Son manque de pratique en matière d’exercices amoureux se fait cruellement sentir, et la lecture assidue de la gazette paroissiale a peu apporté à Germaine dans ce domaine.

Pourtant, Rolland est ému par la bonne volonté et la sincérité de cette femme. Lui qui a amassé au cours de ses longues années de célibat, assez de souvenirs coquins pour meubler une éternité de soirées solitaires, sait faire la différence. Apres toutes les blondes, brunes ou rousses qu’il a possédées, il découvre un bien-être qui lui est étranger.
Ce matin, contrairement à ses habitudes, il ne fuit pas. Il n’ira pas non plus chanter sur le marché et c’est un peu aussi grâce à l'odeur de fricassée de lapin qui lui parvient.


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