3 - Le départ

Les Allumés de la Paix
Chronique ruralo-décalée d’un certain bonheur



Assise sur son lit, Germaine trie dans son linge et ses souvenirs. Intraitable, Rolland juge de ce qui est mettable ou pas et deux piles inégales se forment devant le jeune couple.
"Tu vois, dit Rolland en désignant le tas le plus important, tout ce qui est la, c'est à jeter. Tu avais vraiment un look de bonne sœur, hein ? "       
"N'exagère pas quand même !"

Rolland sourit et désarmée, Germaine admet. Elle constate sombrement que dix années d'une vie sans joie, ne prennent pas beaucoup de place. L’absence de bonheur manque de relief et les vies plates s’inscrivent en creux dans l’histoire des gens.

Ils ont pris la décision de quitter ce triste meublé, pour aller s'installer dans le petit mas que Rolland squatte au milieu des vignes. Pour Germaine qui a toujours payé un loyer, cette perspective est aussi amusante qu'inquiétante, mais derrière son nouvel homme elle est prête à toutes les aventures.

C’est à demi rassurée qu’elle accueille sa propre propriétaire, convoquée fermement pour la remise des clefs. Celle-ci fera les frais des incertitudes de Germaine qui lui jettera à la tête le lit défoncé, taché et toujours vide d'homme, la tapisserie ringarde scotchée tant bien que mal, la gazinière moribonde et le chauffe-eau fantaisiste.
Emportée par son élan, elle lui rappelle ses mesquineries et la verrue qu'elle porte au menton.

La propriétaire reste souriante, car les vieux loyers sont peu rentables et ce départ inespéré lui permettra une juteuse augmentation, pour le prix dérisoire d'un coup de balais.


Un peu gêné de cet éclat, Rolland se hâte vers la gare. L'orgue de Barbarie qui sert au transport  croule sous les paquets, et le déménagement a des allures d'exode. Quelques mètres derrière, deux chiens et un ivrogne mal dessaoulé les suivent, à tout hasard. Germaine s‘efforce d’avancer dignement, défiant ceux qu'elle rencontre de son regard de femme heureuse.
Il n'est pas de poule plus prétentieuse, que celle qui vient d’apprendre à pondre !

Après avoir placé son instrument dans le wagon a bagages, Rolland inspecte tout, s'assure de la bonne fixation de son fond de commerce et fait transmettre ses recommandations de douceur au conducteur, qui s'en fiche comme de sa première pelle à charbon.
Le contrôleur qui assiste à l'embarquement reste stoïque. Pour avoir enchainé récemment deux grèves, un arrêt maladie de complaisance et trois semaines de congés, il possède d'importantes réserves de patience qu’il met au service de Rolland.
On n’a pas tous les jours la chance d’observer des voyageurs aussi originaux

Avec un dernier regard à son orgue, Rolland rejoint Germaine dans le compartiment voisin. Mal assis sur des banquettes trop étroites, ils se regardent et sont heureux. L'assurance d'être deux remplace parfois les projets d’avenir.

Au travers des fenêtres baissées, les grincements du train et le chant des cigales bénissent joyeusement cet étrange voyage de noce.


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