Fragment de la vie d’Alexandrine SOUILLARDE


Alexandrine SOUILLARDE est une femme au physique et au passé étonnant, dont la vie mérite d’être contée, car Alexandrine SOUILLARDE avait un problème, elle n'était pas belle.
Elle appartenait à cette race de femmes que les hommes de goût appellent communément des thons, et que les autres n'appellent jamais. En un mot, Alexandrine était laide à pleurer : d'une laideur profonde, insondable, désordonnée jusqu'à l’exubérance.

Issue d'une famille violemment défavorisée, elle s'était élevée elle-même dans les ornières poussiéreuses de sa rue, loin des claques de sa mère alcoolique et de la braguette de son père, alcoolique et chômeur aussi, mais plus méchamment car prompt des reins quand l'heure n'était pas trop tardive et la température clémente.
Elle avait laborieusement appris à ne compter sur personne sur les genoux du bedeau, qui entre deux leçons de catéchisme lui dispensait les lumières de son savoir, une main tenant le livre, l'autre dans sa petite culotte, regrettant que ce pubis encore imberbe ne ranima que mollement une érection depuis longtemps défaillante.
Mais, à Sainte Foy la Galéreuse, le bedeau avait depuis toujours appris à se contenter de peu, et même souvent de rien, démontrant par là que le bonheur est une notion aussi individuelle que relative.

Alexandrine n’avait jamais eu d'amis. Trop pauvre pour intéresser les autres fillettes, trop laide pour que les garçons l'approchent, pas assez farouche aux yeux des grenouilles dominicales médisantes et hargneuses qui faisait le bien à Sainte Foy la Galéreuse, trop sauvage aux yeux lubriques des époux des ci-devant grenouilles, Alexandrine s'était élevée vraiment seule et solitaire, dans la plus complète des solitudes désespérantes.

Elle avait cependant grandit. Trop et mal.
Longue, plate, dégingandée, elle mouvait son corps maladroit en brusques saccades sautillantes, ses bras trop longs faisant balanciers en de larges mouvements d’une amplitude étonnante. Quand elle marchait, Alexandrine SOUILLARDE ressemblait a un ancien sémaphore désarticulé.

Si la pauvreté sied mal aux femmes et encore moins aux vilaines, elle devient risible d'intensité chez celles qui cumulent a l'excès. Ainsi, toujours ensachée dans quelques mauvaises nippes de récupération ravaudées avec un manque de gout forcené, Alexandrine ne passait pas inaperçue. Logeant à l’extrême limite du village, elle profitait bonne dernière des œuvres de Monsieur le Curé, et devait trier pour se vêtir, dans le rebut des autres pauvres de la commune.
En sortie du bourg et loin après les dernières maisons, entre la route peu fréquentée de Saint Supplice la Savatière et les eaux nauséabondes de la Vomille, le logis d'Alexandrine était à son image : étroit et obscur. Epargné de la démolition, plus par économie que par mansuétude, l'ancienne maison communale du bourreau offrait un abri rassurant, dont la solidité compensait l'inconfort. 


L'ameublement en était sommaire. Une paillasse clouée au sol, une petite table bancale qui avait connu trois pieds, deux parpaings pour suppléer au pied manquant, une bassine cabossée et un vieux cadre dans lequel une photographie jaunie montrait un couple de vieux à l’air méchant. De ci, de la, quelques nids de termites égayaient comme ils pouvaient les murs suintants de pierres noircies.
Autour de la sinistre construction, s'étendait un petit pré, qui entre deux crues dévastatrices de la Vomille, servait à Alexandrine de jardin de désagrément, de potager, de chambre en été et de lieu d'aisance toute l'année.

Ce soir là, la lumière tirait lentement vers sa fin, avec cette lenteur désarmante des saisons qui changent. La lueur descendante nimbait la bâtisse d'une auréole presque magique, ruisselant sur l'ardoise brillante du toit, puis s'écoulant sur la mousse verdâtre des murs, pour finir en folle flaque floue au pied du bâtiment, inondant des tessons éparpillés de canettes de bière éclatées.

Emue et déjà passablement ivre, assise a quelque distance sur une poubelle retournée, Alexandrine contemplait ce spectacle en méditant sur la fin de cette journée, qui marquait pauvrement son trentième anniversaire. Elle composait mentalement son diner, ce qui ne réclamait que peu d’efforts de sa part, son garde-manger contenant tout juste un morceau de pain, un demi saucisson, un pot de fromage blanc périmé et trois bons litres de gros vin rouge frelaté.

La soirée s'annonçait triste, car solitaire serait son repas, solitaire serait sa nuit et solitaire son plaisir.
Pourtant, en cette soirée, Votre Père, de bonne humeur, apparût a Alexandrine et lui dit aimablement :

-  Hé ! boudin ! Si t’allais bouter l'ignorance hors du pays ? Au lieu de glander, tu pourrais apprendre à  lire aux petits zenfants des zécoles.
-    La putain de ta race maudite, répliqua vertement Alexandrine qui ne supportait pas la vulgarité, tu vois pas que je sais à peine lire moi-même, crâne de pet ?


Alors, Votre Père fut ému de tant de franchise car il voyait que sous l’alcool et la poitrine plate, le cœur d'Alexandrine était bon. Il lui fit accorder illico le RSA, une carte de bus gratuite, une photo dédicacée de Céline Dion en string,  des gros seins et son entrée à l'école des professeurs de maternelle.

Pour le physique, Votre Père ne put rien faire d'autre, car il est des cas ou même le pouvoir infini de Dieu a des limites.

Quelques armées plus tard, instruite, diplômée, habillée, désintoxiquée, lavée, masturbée et dépucelée, Alexandrine prenait ses fonctions d‘institutrice, pour le plus grand bonheur des enfants, de son inspecteur d'académie et des mauvaises commères de Sainte Foy la Galéreuse, où les méchantes langues la croient toujours danseuse du ventre à Tanger.



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